FRANÇOIS DE CORNIÈRE
COMME L'ÉCRIVAIT CARVER
Traducción de Marceau Vasseur
y Miguel Ángel Real
Tard en fin de journée
nous allions marcher sur la plage
jusqu'à la côte sauvage.
Après l'hiver enfin
apparaissait un soir
un premier château de sable.
J'aimais ce moment-là
comme retrouver tracés
en lettres de coquillages
des prénoms amoureux
des cœurs petits cailloux
des jardins bordés d'algues
aux clôtures de galets.
Ces monuments laissés sur place
par des enfants obligés de rentrer
comptent toujours pour moi.
Quand je les vois renaître
je pense que nous sommes ces deux-là
qui continuent de marcher
s'arrêtent pour regarder
et qui font attention
de ne pas piétiner
comme l'écrivait Carver:
"La vitesse foudroyante du passé."
COMO LO ESCRIBÍA CARVER
Tarde, al final del día,
íbamos a caminar por la playa
hasta la costa salvaje.
Tras el invierno, por fin,
una tarde aparecía
el primer castillo de arena.
Me gustaba aquel momento
como encontrar trazados
en letras de conchas
nombres de enamorados
corazones piedrecitas
jardines bordeados de algas
con cercas de guijarros.
Esos monumentos abandonados
por niños que debieron volver a casa
siguen contando para mí.
Cuando los veo renacer
pienso que somos esos dos
que siguen caminando
se paran a mirar
y llevan cuidado
en no pisar
como lo escribía Carver
“La velocidad fulminante del pasado”
LES DEUX HORIZONS
C'était la fin de l'hiver
le ciel était gris clair
laiteux presque blanc
et la mer
dans les mêmes demi-teintes
ressemblait à un lac.
Au loin du côté de l'île
— qu'on distinguait à peine —
une dizaine de voiles
étaient immobilisées
légères
comme suspendues dans le vide.
Deux traits de pinceau parallèles
leur avaient dessiné
un cadre tout en longueur
qui n'était ni le ciel ni la mer
mais la fusion des deux.
Nous étions restés un bon moment
à regarder ce monde fragile
vibrer se transformer
et enfin s'effacer.
Nous nous étions mis d'accord
sur le titre de l'estampe :
Les deux horizons
Puis nous étions partis
sur nos vélos rouillés
faire un tour au Japon.
LOS DOS HORIZONTES
- Fin de invierno -
El cielo era gris claro
lechoso, casi blanco
y el mar
en la misma luz tenue
parecía un lago.
A lo lejos junto a la isla
- que a penas se distinguía-
una decena de velas
estaban inmóviles
ligeras
como colgadas en el vacío.
Dos pinceladas paralelas
les habían dibujado
un marco alargado
que no era ni el cielo ni el mar
sino la fusión de ambos.
Nos habíamos quedado un buen momento
mirando este mundo frágil
vibrar transformarse
y al fin borrarse.
Nos habíamos puesto de acuerdo
sobre el título de la estampa :
Los dos horizontes
Y nos fuimos
sobre nuestras bicicletas oxidadas
a dar una vuelta a Japón.
DANS SON BOL DE THÉ
Elle me dit qu'elle aime
regarder le reflet du ciel
ou celui de l'arbre
ou celui du rideau
dans son bol de thé.
« C'est la lumière qui fait tout »
me dit-elle souvent
quand elle me montre entre ses mains
l'image qu'elle fait trembler
en rides concentriques.
C'est l'instant rond qu'elle saisit là
le tableau d'une profondeur
qui dépend d'un nuage pressé
du soleil à travers la vitre
d'une ombre un peu penchée.
Je ne sais pas à quoi elle pense
dans ces moments-là
mais je crois moi aussi
l'importance de ce qui passe
ou de ce qui s'arrête
dans un bol de thé.
EN SU TAZÓN DE TÉ
Ella me dice que le gusta
mirar el reflejo del cielo
o el del árbol
o el de la cortina
en su tazón de té.
“Todo lo hace la luz”
me dice a menudo
cuando me enseña entre sus manos
la imagen que hace temblar
en arrugas concéntricas.
Atrapa así un instante redondo
el cuadro de una profundidad
que depende de una nube apresurada
del sol tras la ventana
de una sombra algo inclinada.
No sé en qué piensa
en esos momentos
pero yo también creo
en la importancia de lo que pasa
o de lo que se detiene
en un tazón de té.
De « Nageur du petit matin », Ed. Le Castor Astral 2015
COUREURS DE DESTIN
L'homme attendait au volant.
Il avait coupé la radio
pris le journal dans son sac
essayé de lire un article.
Il avait replié le journal.
Il pleuvait fort maintenant.
L'homme entendait les gouttes
sur le toit de la voiture
— un bruit ancien qui lui rappelait
des moments de sa vie.
Sur le pare-brise les gouttes
suivaient des chemins en descente
comme des petits coureurs de destin
qui s'arrêtaient d'un coup
ou qui se précipitaient.
L'homme les regardait.
La lumière verte clignotante
de la pharmacie à côté
avait presque disparu.
La buée recouvrait toutes les vitres.
« Je n'ai pas été trop longue? »
Il avait tourné la tête
elle était trempée.
L'homme avait mis le contact
poussé la ventilation à fond.
Il lui avait répondu non.
CORREDORES DEL DESTINO
El hombre esperaba al volante.
Había apagado la radio
cogió el periódico de la bolsa
intentó leer un artículo.
Había doblado el periódico.
Llovía a cántaros ahora.
El hombre oía las gotas
sobre el coche
-un ruido antiguo que le recordaba
momentos de su vida.
En el parabrisas las gotas
seguían caminos al bajar
como pequeños corredores del destino
que se paraban de pronto
o se precipitaban.
El hombre los miraba.
La luz verde parpadeante
de la farmacia de al lado
casi había desaparecido.
El vaho cubría todas las ventanillas.
“¿No he tardado mucho?”
Volvió la cabeza;
ella estaba empapada.
El hombre puso el contacto
y la ventilación a tope.
Respondió que no.
IL A PLU PENDANT LE FILM
« Il a plu pendant le film»
a dit une femme devant moi
à la sortie du cinéma.
Je me souviens de ses paroles
du trottoir mouillé
où le ciel à l'envers
se voyait dans les flaques.
Dans la rue j'ai retrouvé
cette émotion enfouie
depuis tant d'années :
me retrouver dehors
après la séance de l'après-midi
il fait jour encore
une partie du ciel
est complètement noire de nuages
et l'autre bleue d'hiver.
L'impression d'être un figurant
un peu perdu
d'avoir été absent un long moment
— mais de quoi ?
Les pneus des voitures
font voler des gouttelettes.
« Il ne se passe rien dans ce film !»
a ronchonné l'homme.
J'ai regardé le couple s'en aller.
J'ai pensé à ma vie.
HA LLOVIDO DURANTE LA PELÍCULA
“Ha llovido durante la película”
ha dicho una mujer delante de mí
al salir del cine.
Recuerdo sus palabras
la acera mojada
donde el cielo al revés
se veía en los charcos.
En la calle volví a encontrar
esa emoción enterrada
desde hace tantos años:
hallarme fuera
tras la sesión de tarde
aún es de día
una parte del cielo
está cubierta de nubes negras
y la otra tiene un azul de invierno.
La impresión de ser un figurante
algo perdido
de haberme ausentado durante un largo momento
-¿pero de qué?
Los neumáticos de los coches
hacen volar las gotas.
“¡En esta película no pasa nada!
protestó el hombre.
Vi cómo se alejaba la pareja.
Pensé en mi vida.
De « Ça tient à quoi », Ed. Le Castor Astral, 2019